Contribuer au débat de la présidentielle : c'est le souhait du Cercle Maurice Cohen. Ce club de réflexion engagé aux côtés des salariés et de leurs représentants rassemble syndicalistes et universitaires, avocats et juristes en droit social, mais aussi experts auprès des IRP. Il formule dans cette tribune plusieurs propositions de changements s'agissant du CSE, le comité social et économique. Les plus notables : la création d'un comité de proximité et des conditions de travail, une instance regroupant les prérogative des ex-CHSCT et des ex-délégués du personnel, et un droit d'opposition des élus au sujet de la prévention des risques psychosociaux.
Plus de quatre ans après la publication de l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 ayant institué le Comité Social et Économique (CSE), le Cercle Maurice Cohen, fort de l’expérience de ses adhérents, entend faire part aux candidats à l’élection présidentielle de ses propositions de réforme des nouvelles institutions représentatives du personnel (1).
Ces dernières font, en effet, l’objet de nombreuses critiques de la part de toutes les organisations syndicales, mais aussi du comité d’évaluation de ces ordonnances, rattaché à France Stratégie et au Premier ministre (2).
Comme chacun le sait, la réforme de 2017 a fusionné les trois Institutions Représentatives du Personnel (IRP) qui existaient auparavant dans les entreprises. Délégués du Personnel (DP), Comité d’Hygiène et de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT), et Comité d’Entreprise (CE) ont ainsi disparu du paysage juridique français pour laisser place à une nouvelle instance qui s’intitule le Comité Social et Économique (CSE). Pour autant, si les trois instances préexistantes au CSE appartiennent au passé, les missions dont elles étaient porteuses, subsistent, c’est un point important et essentiel. Le Code du travail les mentionne explicitement.
Les élus des CSE exercent ainsi à la fois la mission :
- des DP, car ils portent à l’attention de leur employeur les réclamations individuelles et collectives des salariés (Art. L. 2312-5 du Code du travail) ;
- du CHSCT, car ils analysent et contrôlent les conditions de travail (Art. L. 2312-9 du Code du travail) ;
- du CE, car leur information et leur consultation restent obligatoires s’agissant de toutes les questions en rapport avec la marche générale de l’entreprise (Art. L. 2312-8 du Code du travail).
Les constats et critiques ci-après présentés résultent des multiples actions d’accompagnement (formations ou/et conseils) effectuées au-près de nombreux CSE durant les quatre dernières années. Elles sont en grande partie reprises dans le 4ème rapport présenté par le comité d’évaluation des ordonnances Travail (Ndlr : lire l'article d'actuEL-CSE du 17 décembre 2021).
Première critique. La polyvalence imposée aux élus par la nouvelle législation s’avère compliquée à assumer. Ceux-ci doivent en effet assurer :
- d’une part des missions diverses qui supposent pour deux d’entre elles une proximité géographique et humaine avec les salariés, à savoir la mission des DP et celle des CHSCT,
- et d’autre part une mission exigeant un contact permanent avec le chef d’entreprise ou d’établissement, celle du comité d’entreprise.

D’où une première critique que l’on peut formuler à l’encontre du nouveau comité social et économique. Le CSE est une institution représentative qui contient en germe un risque de centralisation de la représentation du personnel notamment dans les entreprises à établissements distincts et corrélativement un risque d’éloignement des élus de leurs mandants. Comment, par exemple, procéder à des inspections régulières des postes de travail lorsque les élus sont localisés à plusieurs heures de transport des sites des salariés compris dans leur sphère d’action ?
Seconde critique. Elle concerne le danger d’une prévalence des questions économiques traitées dans le cadre de l’institution représentative sur celles concernant les conditions d’emploi et de travail, car dans le CSE, tout est débattu dans un seul cadre et au même moment. Et compte tenu du tropisme naturel des directions d’entreprises pour l’économique, sachant que celles-ci président le CSE, il est à craindre que cette dimension des projets de l’employeur prenne le pas sur leurs incidences en matière de santé et de sécurité.
La précédente conception légale de la représentation du personnel qui reposait sur une logique de complémentarité et de spécificité des IRP, assurait une prise en compte du quotidien des salariés et un équilibre entre deux registres qui ne font pas toujours bon ménage, à savoir celui de l’économique et celui des conditions de travail.
Troisième critique. Elle tient à l’effet d’embouteillage produit par l’unicité de l’instance.

Comme le rapporte le 4ème rapport intermédiaire de l’évaluation des ordonnances travail (Ndlr, lire l'article d'actuEL-CSE du 17 décembre 2021), si le nombre des réunions des instances s’est réduit, cela s’est aussi traduit par des réunions plus longues, et un ordre du jour plus lourd dont les points à traiter mélangent pêle-mêle les réclamations individuelles et collectives des salariés avec les questions économiques ou celles relevant de l’analyse des conditions de travail et de la prévention des risques professionnels. De ce fait, comme le relève le 4ème rapport d’évaluation des ordonnances, certains élus se professionnalisent, voire se spécialisent, tandis que d’autres se désinvestissent ou démissionnent, débordés par la tâche à accomplir et la nécessité de donner aussi satisfaction à leur hiérarchie sur leur travail en dehors de leur mandat.
Quatrième critique. Elle concerne le peu d’attention portée à la mission des élus de CSE relative à la santé et la sécurité. Alors qu’auparavant certains représentants du personnel possédaient une véritable compétence et étaient quasiment « spécialisés » sur ces questions, la nouvelle organisation conduit à une dilution, voire dans certaines entreprises à la perte de cette compétence.
Cinquième critique. Seulement 2 142 accords ont institué des représentants de proximité (sur 90 000 CSE créés entre le 1er janvier 2018 et le 31 décembre 2020). Leur existence dans les entreprises dépendant de la signature d’un accord avec l’employeur, celle-ci s’est souvent heurtée à un refus des employeurs qui craignaient de recréer indirectement les anciens délégués du personnel.

« Le sujet de la proximité n’est pas réglé » relève ainsi le comité d’évaluation, « car la présence de ces représentants n’est pas généralisée, d’autant que les textes définissent très peu leurs missions ».
Au regard de ces critiques, une réforme doit être envisagée en se fixant trois objectifs :
- redessiner le paysage actuel de la représentation du personnel afin de redéfinir les missions et prérogatives des élus et repen-ser leur charge de travail ;
- assurer un rapprochement des représentants du personnel de leurs électeurs et de leurs préoccupations ;
- assurer une prise en compte effective et efficace des questions santé, sécurité et conditions de travail délaissées par la nouvelle législation.
Repenser la charge de travail des élus, recréer les conditions d’une proximité entre élus et salariés et permettre aux représentants du personnel de reprendre la main sur les questions de santé, sécurité et conditions de travail passent, selon le Cercle Maurice Cohen, par l’institution d’une seconde institution représentative du personnel s’ajoutant au CSE. Cette nouvelle instance pourrait être dénommée « Comité de proximité et des conditions de travail ».
Les missions consistant d’une part, à porter à l’attention de l’employeur les réclamations individuelles et collectives des salariés et d’autre part à analyser et contrôler les conditions de travail seraient ainsi confiées à cette nouvelle instance.
Quels sont les arguments qui nous conduisent à privilégier l’idée d’une nouvelle instance plutôt que d’élargir le champ d’application des actuelles commissions santé sécurité et conditions de travail et/ou de rendre obligatoire l’institution de représentants de proximité ?
On peut, en effet, légitimement s’interroger sur la nécessité d’ajouter une nouvelle instance au CSE, car il faut le relever, celle-ci heurte frontalement la volonté du législateur de 2017 qui était de simplifier la structuration de la représentation du personnel dans les entreprises permettant ainsi d’exaucer une vieille revendication patronale.
• Premier argument. La réorganisation du travail de représentation des élus passe par un transfert de certaines attributions du CSE à une nouvelle instance dotée nécessairement de la personnalité morale qui lui permettra d’être consultée en lieu et place du comité social et économique. Celle-ci sera dotée de tous les moyens lui permettant, notamment celui de nommer un expert.
En effet, si les attributions (notamment les inspections et enquêtes) relatives à la prévention et au contrôle des conditions de travail peuvent aujourd’hui être confiées aux membres des CSSCT, ce transfert ne permet pas d’alléger les débats relatifs aux conditions de travail au terme desquelles un avis des élus du CSE est sollicité, les membres de la commission n’étant pas dotés de cette prérogative. La loi rappelle ainsi expressément aujourd’hui, que les membres de la CSSCT ne possèdent pas le droit d’être consultés ni celui de nommer un expert.

De même, les réclamations individuelles et collectives ne peuvent, selon le droit en vigueur, être portées à l’attention de l’employeur qu’en séance plénière. Tout au plus, les élus peuvent-ils créer une commission chargée de recueillir ces réclamations, comme cela a pu être observé dans certaines entreprises, mais les réponses de l’employeur ne peuvent être formulées qu’en séance plénière avec le risque évident d’une relance d’un débat à leur sujet.
Désembouteiller les réunions de CSE suppose donc un transfert de compétences dans une autre instance dotée de la personnalité morale.
• Deuxième argument. Il tient à la motivation des membres des CSSCT.

Dépourvus des pouvoirs de consultation et de désignation d’experts, ces représentants du personnel voient leur capacité d’action amputée et s’estiment légitimement relégués dans un statut de représentants sous tutelle. Être obligés de convaincre les autres élus de voter dans tel ou tel sens et risquer de voir leurs travaux et leur conviction ne pas être adoptés, à l’évidence, ne motivent pas.
Par ailleurs, l’inertie inévitable produite par la nécessité d’attendre l’adoption des résolutions et des décisions des titulaires du CSE, compromet l’efficience du droit d’alerte pour risque grave qui suppose, gravité oblige, de la célérité.
• Troisième argument. Recréer une instance dédiée aux conditions de travail des salariés, c’est opérer un rééquilibrage entre les différentes missions des représentants du personnel et éviter que les débats relatifs aux questions économiques, financières et liées à la marche générale de l’entreprise, ne fassent l’objet d’un traitement prioritaire par rapport à la santé, alors que le CSE par le mélange des sujets traités qu’il opère, et le rôle de président de l’instance attribué à l’employeur, risque fort de produire une hiérarchie entre ces deux registres au profit du premier, notamment dans les consultations ponctuelles relatives aux projets de réorganisation des employeurs.

On admettra aisément que la préservation de la santé des travailleurs et la prévention des risques professionnels sont aujourd’hui des sujets de réflexion et de préoccupation essentiels pour la représentation du personnel et qu’ils ne doivent pas être relégués au second plan au profit des questions économiques. En ce sens, dans le cas d’une consultation sur une réorganisation envisagée par l’employeur, l’avis du comité de proximité et des conditions de travail devrait être transmis au CSE avant que celui-ci ne se prononce sur l’ensemble du projet de l’employeur. Le volet conditions de travail serait ainsi réintégré dans un avis plus global du CSE (comme il en était selon le droit positif ayant précédé les ordonnances Macron/ Pénicaud).
• Quatrième argument. Créer une nouvelle instance de proximité, c’est enfin se donner la possibilité de rapprocher les élus de leurs mandants et corrélativement de concevoir une autre définition de l’établissement distinct relatif à cette nouvel-le instance.
Adopter la solution de l’institution d’une nouvelle instance, c’est donc résoudre les trois défauts du CSE énoncés plus haut.
Les conditions de travail se dégradent année après année, les enquêtes ou autres baromètres mesurant l’évolution de l’absentéisme pour maladie révèlent ainsi une augmentation des arrêts maladie, un accroissement des risques psychosociaux et une augmentation significative et constante des accidents du travail.
L’article L. 4121-2 du Code du travail a beau prévoir depuis de nombreuses années que :
« L’employeur met en œuvre notamment les mesures de prévention sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° éviter les risques ;
2° évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° combattre les risques à la source ;
4° adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé »,
rien n’y fait.
Face à ce constat, il nous semble nécessaire de reconnaître aux représentants du personnel et en particulier au « comité de proximité et des conditions de travail » un droit d’opposition concernant la prévention des risques professionnels.

Celui-ci pourrait être exercé par les élus au moment des consultations relatives aux projets patronaux, dès lors que ces projets comporteraient un risque grave, identifié et actuel, pour la santé physique et mentale des salariés concernés comme le précise aujourd’hui la Cour de cassation en cas de recours à une expertise fondée sur ce motif (Cass. Soc. 26 janvier 2012, n° 10-12.183 ; 25 novembre 2015, n° 14-11.865).
En cas d’exercice de ce droit de veto par les élus bloquant momentanément le projet patronal, une instance d’arbitrage serait saisie pour départager les deux parties. Comme en Allemagne où un droit de veto a été reconnu au conseil d’établissement, cette instance d’arbitrage pourrait être composée de 2 assesseurs patrons, de 2 assesseurs salariés et d’un président (dit) neutre, nommé par le juge si les assesseurs n’arrivent pas à se mettre d’accord pour le choisir
Nous proposons que celui-ci soit réuni six fois par an, sachant qu’auparavant les délégués du personnel devaient être réunis chaque mois et le CHSCT chaque trimestre.
Durant ces réunions, l’employeur répondra d’une part, aux réclamations individuelles et collectives des salariés et consultera, d’autre part, les représentants du personnel sur les problématiques de prévention et de conditions de travail, notamment sur le bilan annuel relatif à la situation générale de la santé, de la sécurité et des conditions de travail dans l’entreprise ainsi que sur le Papripact (programme annuel de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail).
À ces réunions périodiques pourront éventuellement s’ajouter des réunions supplémentaires dans les mêmes hypothèses que celles prévues par la législation en vigueur aujourd’hui (réunions décidées par la majorité des élus, par ex.).
Enfin, comme évoqué plus haut, en cas de consultation sur un projet patronal, le « comité de proximité et des conditions de travail » serait réuni pour donner un avis sur les conséquences du projet sur les conditions de travail, préalablement à la consultation du CSE portant sur le volet économique et organisationnel de ce même projet.
(1) Cette synthèse a été coordonnée par :
• Amine Ghenim, Bâtonnier du barreau de Seine-Saint-Denis
• Arnaud Le Paih, Consultant, analyste emplois et salaires
• Fabrice Signoretto, Consultant/Formateur auprès des comités sociaux et économiques
• Laurent Milet, rédacteur en chef de la Revue Pratique de Droit Social, professeur associé à l’université de Paris-Sud
• Mouna Benyoucef, avocate au barreau de Paris
• Thierry Franchi, syndicaliste et ancien secrétaire du CCE de France Télécom/Orange
(1) Le comité d’évaluation des ordonnances de 2017 est un organisme rattaché à France Stratégie et au Premier ministre. Il est présidé par Marcel Grignard et Jean-François Pillard. Il a pour objet d’évaluer les incidences des différentes ordonnances du 22 septembre relatives au dialogue social et aux relations de travail. Voir ici le rapport de France Stratégie publié en décembre 2021 et l'article d'actuEL-CSE.fr
Qu'est-ce que le Manifeste du Cercle Maurice Cohen ?
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Le Cercle Maurice Cohen regroupe syndicalistes, universitaires, avocats et juristes en droit social, experts auprès des CE et des CHSCT, inspecteurs du travail, ainsi que des personnalités dont les compétences et l’expérience peuvent nourrir la réflexion. Le Cercle prend résolument le parti de la défense des travailleurs, de leur droit constitutionnel de participer, « par l’intermédiaire de (leurs) délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises », de leur accès aux loisirs et à la culture grâce à des activités sociales et culturelles solidaires, de qualité, dont ils assurent la gestion. Nous avons choisi de l’appeler « Cercle Maurice Cohen », en l’honneur du rédacteur en chef puis directeur de la Revue pratique de droit social (RPDS), juriste engagé auprès des élus et mandatés, et auteur de l’ouvrage « Le droit des comités d’entreprise et des comités de groupe » unanimement reconnu comme le traité de référence sur les comités d’entreprise (lire notre article lors du décès de Maurice Cohen). |
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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